Une guerre civile  prolongée induit  l’inverse du développement.  En voici un certain  nombre  de conséquences :

  • Déclin économique

L’économie ralentit  généralement par  rapport au rythme  qu’elle affichait  en temps  de paix. Elle   se trouve considérablement réduite par  rapport  à ce qu’elle aurait  été sans le conflit. Comprendre ce processus de contraction économique  aide à concevoir des mesures correctives pour l’après-conflit.

  • Infrastructure

L’héritage le plus visible d’un conflit est la destruction  de l’infrastructure publique. Cependant, la  dégradation de  l’infra- structure à la suite d’un conflit n’est pas uniquement provoquée par des  dégâts directs. Dès lors  qu’il  relève son budget militaire,  l’État comprime les investissements  et les dépenses publiques qui étaient destinés à l’entretien de  l’infrastructure. Les fonds publics font cruellement défaut.

  • Dépenses militaires

Pendant  la guerre civile,  les dépenses militaires  augmentent inévitablement car  l’État cherche à  étoffer sa capacité de  résistance face aux rebelles. Il est difficile  de suspendre ces fortes  dépenses militaires pendant  un conflit.

En  général,  pendant les 10 années  qui suivent un conflit, les dépenses militaires sont  maintenues et  les dividendes de  la  paix  sont  faibles.  C’est le corollaire d’un  risque  élevé  de  reprise des hostilités : l’État réagit  au risque  en augmentant  ses dépenses  militaires. Il existe une autre raison, plus  terre-à-terre : les  forces rebelles doivent  souvent  être intégrées dans l’armée  régulière, de   manière  à   étoffer celle-ci. Même si des hommes sont démobilisés,  les coûts  à court  terme  sont  substantiels. Un phénomène est encore plus inquiétant : à la fin d’une  guerre civile,  l’armée est importante et influente, elle  risque  de  faire pression pour  que  les  dépenses  militaires soient  maintenues, ce  qui  renforce  l’inertie naturelle  des allocations  budgétaires.  En effet,  dans  la  pratique, le  budget se fonde souvent  sur l’allocation de  l’année  précédente.

Les données  comparatives  entre les pays  font  apparaître une  corrélation positive entre les   dépenses   militaires  post- conflit  et le risque de reprise des hostilités. Cette  situation est  propre   au  contexte  de  l’après-conflit. Des constats  opposés apparaissent en  effet dans  d’autres contextes. L’effet post-conflit peut notamment s’expliquer  de la  façon suivante : le  niveau de  dépenses militaires retenu  exprime indirectement les intentions du  gouvernement. Une  réduction radicale des  dépenses, au  sortir  du  conflit,  peut  être  interprétée par les opposants potentiels comme la preuve que  l’État a l’intention de se montrer inclusif  et non fortement répressif. Réciproquement, le maintien d’un  niveau élevé de  dépenses militaires peut  être  interprété comme  une intention d’employer la force et provoquer une  vive  opposition de manière préventive. Une  forte  réduction du  budget de  l’armée  peut   directement renforcer la paix  et libérer  des  moyens financiers pour la reconstruction.

  • Horizons temporels

Pendant  le conflit, la victoire  militaire, ou du moins l’évitement de la défaite, devient une priorité  absolue pour  l’État, qui  oriente  ses dépenses vers  des  stratégies axées  sur  le court  terme, au  détriment de  celles  à  plus long   terme. Économiquement parlant,  on peut considérer qu’il  s’agit  là  d’un  rétrécissement  des horizons  temporels ou d’une augmentation du taux d’actualisation. Ce raccourcissement des  horizons  temporels  est susceptible de  se  retrouver  dans le  comportement économique  des  agents privés. Face aux incertitudes liées  à la guerre civile,  il est  plus  difficile  d’anticiper l’avenir, ce  qui  entraîne une  multiplication des  comportements opportunistes. Normalement, les individus veillent à ne pas avoir une réputation d’opportuniste, car on risque de leur faire moins  confiance. Cependant, à mesure que  l’avenir  devient de plus en plus incertain, ils  sont  davantage incités  à saisir les opportunités qui se présentent. C’est pourquoi  on  observe  une   recrudescence des  comportements opportunistes,  ce  qui réduit  la  productivité dans  toutes  les  activités qui  dépendent normalement d’un facteur  de confiance. Par exemple, les opérations  de crédit  peuvent se révéler particulièrement difficiles.

  • Fuite des capitaux

Pendant un conflit, la peur et l’absence d’opportunités incitent  les individus à chercher refuge à  l’étranger, tant pour eux- mêmes que pour leurs actifs. Les mieux placés pour s’expatrier sont ceux  qui disposent de qualifications : ils peuvent plus facilement financer leur émigration  et sont mieux  accueillis dans le pays  hôte. Par conséquent, le  pays  d’origine perd  ses  travailleurs qualifiés : l’hémorragie des  qualifications  s’accompagne d’une  fuite  des  capitaux.  Les individus déplacent leurs  actifs  à l’étranger,  pour les mettre en sécurité  et parce  que  le retour sur investissement dans leur pays  diminue au fur et à mesure que sa situation économique se  dégrade. Il en résulte une grave pénurie de compétences, une  diaspora importante, un effondrement de l’investissement privé et une  accumulation de richesse privée  à l’étranger.

  • Changements structurels

Les activités  les  plus vulnérables à  la fuite des  individus qualifiés et  à l’augmentation des  attitudes  opportunistes sont la fonction publique, la justice, la comptabilité et la médecine. Par définition, tous  les  métiers nécessitent des  compétences, mais  aussi  de l’honnêteté. Les fonctionnaires  effectuent des  tâches  difficiles  à surveiller. C’est l’une des raisons pour lesquelles leurs activités relèvent du secteur  public. De même, parce que les métiers sont définis par de nombreuses  informations spécialisées,  les normes  de conduite sont normalement contrôlées par les pairs  plutôt  que par un examen extérieur. L’accroissement des comportements opportunistes est donc  particulièrement dommageable.  La fuite des cerveaux et l’augmentation de  l’opportunisme ont pour conséquence une  dégradation des performances dans le secteur  public  comme dans le secteur privé.

La composition  sectorielle de l’économie  se modifie  pendant une guerre civile, notamment parce  que les activités  n’ont pas toutes le même degré de vulnérabilité. Si les combattants raflent  des  biens  meubles, comme le bétail, ou volent  des  cultures de valeur, les ménages ruraux  risquent d’opter pour des activités  de subsistance moins vulnérables. Un  conflit  prolongé est  susceptible  d’éloigner l’économie rurale  des  activités commerciales.

Le changement structurel  provient  également de l’évolution de la demande. L’effondrement de l’investissement pendant  un long conflit  réduit  la  demande dans  les secteurs qui  produisent des  biens  d’équipement, en particulier dans  le BTP. Après un conflit, ce secteur  se contracte  invariablement.

Ces  changements structurels entraînent une  nouvelle fuite  des  cerveaux. Pour que des compétences restent acquises, il est nécessaire de les utiliser  régulièrement et de les transmettre. Par conséquent, une contraction durable de  la  production dans un secteur  épuise le stock de compétences. L’absence de  pratique conduit  à l’oubli,  un processus  qui s’apparente  à l’inverse de l’apprentissage par la pratique, lequel constitue habituellement un moteur  essentiel de la croissance de la productivité.

  • L’héritage politique

Pendant  la guerre, l’État est aux  abois  et la politique  publique  et  la  gouvernance se dégradent. La  nécessaire  hausse  des dépenses militaires se heurte  à un recul  des recettes fiscales, sous l’effet  de  la  contraction de l’économie  privée   organisée. En outre,  l’aide  se raréfie  car l’État se retrouve exclu  des  marchés du crédit  internationaux et le marché  intérieur s’assèche. En réaction, l’État met à profit l’impôt  prélevé par l’inflation.  L’économie qui se relève d’un conflit se retrouve  donc  avec  une  inflation forte et une  monnaie dans  laquelle on a peu confiance. Cette stratégie est celle qui s’impose avec le plus d’évidence  parmi diverses politiques intenables qui sacrifient  l’avenir  au bénéfice du présent. Les politiques à courte vue adoptées pendant la guerre commenceront à  engendrer des coûts au moment de la paix. Il est donc  nécessaire de mettre rapidement en œuvre  une réforme économique. En outre, la situation budgétaire après un conflit risque de ne pas être tenable et la réforme peut  se révéler nécessaire pour éviter  l’effondrement.

 

Ce qu’il faut retenir

Les conflits violents durent plus longtemps et sont plus  meurtriers en Afrique  que  dans les autres  régions du monde, d’où des coûts sociaux et économiques élevés. Ils se propagent bien  au-delà des  frontières du pays concerné et  persistent longtemps après la fin des  opérations militaires.Si les hommes jeunes constituent l’essentiel des  morts des combats, ce sont  essentiellement les femmes et les  enfants  qui  sont les victimes des maladies. Les conflits violents  continuent  de  tuer  bien  après   l’arrêt  des  combats. Dans  les  pays  qui  se  relèvent  d’un conflit,  le secteur  de  la santé  est dévasté et incapable de répondre à la demande considérable de  soins.  Les moyens disponibles pour  traiter  le  traumatisme sont  générale- ment faibles.  Les guerres ont également des conséquences  sanitaires  sur  les  pays voisins. Les  programmes régionaux  de  lutte contre  les maladies sont interrompus et des maladies contagieuses évitables continuent de faire des victimes  en Afrique. Cependant, les  cessez-le-feu temporaires permettant de mettre en œuvre des  campagnes de  vaccination  et  d’autres mesures de lutte  contre les  maladies ont réussi  à réduire les conséquences de  la guerre dans  cette  région. En Afrique, les conflits violents provoquent également  des déplacements  de populations  à grande échelle. Les Africains  représentent  une  forte proportion du  total  mondial  de  réfugiés et de  personnes déplacées dans  leur propre  pays.

Les coûts  économiques des  conflits  sont également élevés, même  s’ils sont difficiles  à estimer. Ils  incluent la  perte  de  revenu et d’actifs,  les  dégâts  causés à l’infrastructure, la réduction des dépenses sociales, l’accroissement de  l’opportunisme dans  les transactions économiques, la  fuite  de capitaux  et  la  persistance de  mauvaises politiques  publiques. Les coûts économiques perdurent longtemps après  la fin des hostilités. Les capitaux continuent de fuir le pays et les politiques publiques médiocres risquent  d’être difficiles  à modifier.  Pour se rétablir, le pays doit impérativement comprendre et traiter ces coûts.